13-2: Le chat est une particule 6




La grande idée d’Everett est donc : chaque événement, chaque chose qui se produit au niveau quantique concerne tout l’univers, affecte l’univers dans son état entier.

Ou dit autrement : en ouvrant une boîte avec un chat mort ou vivant, en jetant un coup d’œil à l’intérieur, l’observateur fait bien plus que découvrir un résultat : il se dédouble, et dans le même temps l’univers, avec ses trous noirs, galaxies et systèmes et jusqu’à la moindre poussière universelle : se dédouble avec lui.

Et chacun de ces univers bis correspond à un résultat spécifique.

Il y a un univers chat-mort d’un côté.

Et de l’autre côté : un univers chat-vivant.

En sorte qu’au moment de l’ouverture de la boîte les deux chats superposés dans le chat zombie se détachent l’un de l’autre comme des sœurs siamoises dont on séparerait chirurgicalement les colonnes. Ils quittent le probable et rejoignent le sûr chacun de leur côté dans un univers différent. Et le monde ne cesse de bourgeonner ainsi en univers multiples dans lesquels il s’est passé telle chose quantique plutôt que telle autre plutôt que telle autre, il faut imaginer un arbre cosmologique extrêmement complexe qui n’en finit pas de se ramifier et nous-mêmes êtres humains et physiciens quantiques orthodoxes ou hétérodoxes et compagnons/compagnonnes de physiciens quantiques et hôtesses de l’air et enfants et dames d’un certain âge et autres poussières ne cessons de nous dédoubler et sommes donc plus nombreux que nous ne pensons l’être puisque nous possédons une infinité de jumeaux qui pour la plupart n’ont jamais pris cet avion, je parle de l’avion qui scella votre destin, et vu comme ça vous vous rendez bien compte qu’il était inutile, effectivement, de se mettre la rate au court-bouillon pour une bête histoire de moteur qui prend feu, mais encore faudrait-il pouvoir être certain que cette façon de voir est la bonne la vraie – la façon qui fonctionne, puis la question se pose de savoir si nous continuons vraiment d’être présent à travers ces doubles qui sont nous et n’ont pas pris l’avion ou qui ont découvert un chat mort alors que nous avions découvert un chat vivant ou bien si ces types-là ne sont pas plutôt des alterversions de nous-même distinctes en un point central obscur et décisif, des imposteurs de l’existence réelle, des gens qui font tout à notre place exactement de la manière dont nous ferions tout mais sans nous laisser cependant l’authentique gâche d’être qui on est.
  
Ou dit autrement : même si l’on accepte de suivre un peu les idées des physiciens quantiques hétérodoxes, de jouer un minimum leur jeu, on peut se demander avec une inquiétude de type non feinte si ce qui disparaît quand on prend le mauvais avion ce ne sera pas l’essentiel : la version de nous-mêmes qui était purement nous – sur laquelle nous avions le contrôle – dont nous pouvions dire à coup sûr qu’elle vivait notre vie.